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On a vu pour vous: La recherche-action participative transdisciplinaire REPERE

 Webinaire organisé le 18 février 2022 par le collectif Vigie mer avec Jean Masson pour invité.

Jean Masson, directeur de recherches à l’INRAE et spécialisé en biologie des plantes, a proposé une présentation engagée et engageante de la recherche-action participative à partir d’un projet portant sur la santé des vignes. En 1 heure, il a réussi à présenter non seulement les grandes étapes de la méthode REPERE – permettant une mise en œuvre de recherche-action participative – mais aussi des résultats du projet, révélant tout l’intérêt de l’inclusion des citoyens dans un projet de recherche s’inscrivant aussi dans l’action. 

Les 7 étapes de la méthode

On a lu / vu pour vous 1L’intervention débute avec une photo de groupe prise dans un des vignobles concernés par le projet. Jean Masson estime que c’est un début d’avoir un collectif (groupe de personnes constitué), un exploit d’avoir un collectif de gens impliqués et plus encore un collectif de gens impliqués sur le temps long. La première étape de la méthode REPERE consiste à mobiliser un groupe d’acteurs le plus diversifié possible, avec des visions du monde différentes. Chacun de ces acteurs doit avoir la même légitimité dans le cadre du projet (étape 2). La mobilisation d’une large diversité de disciplines scientifiques est essentielle dès le début du projet afin de mieux prendre en compte la diversité de pensée des acteurs. La question de recherche est ensuite formulée collectivement lors d’un atelier (étape 3). Jean Masson précise qu’on piétine souvent à cette étape : “on a formulé une question, mais en fait on s’est trompé”. Dans ce cas il faut revenir à l’étape d’avant. La question est déclinée en plusieurs petites questions (étape 4), à la fois en laboratoire pour produire des données mais aussi à l’aide d’entretiens. Puis l’ensemble des données font l’objet d’une formation interactive entre tous les acteurs (étape 5). Les chercheurs sont allés dans les sols, avec les viticulteurs pour formateurs ; et les viticulteurs sont allés en laboratoire. Des enseignants ont également fait des formations sur la notion de fiabilité : comment à partir de rumeurs, ou d’observations, on peut produire une connaissance scientifique. La consolidation de l’épistémologie collective (étape 6) passe par une interprétation collective des données en atelier et mène à établir un consensus à partir de la diversité des données. A partir d’un dissensus entre des personnes avec différentes visions du monde s’élabore ainsi un consensus sur des questions, sur une conclusion écrite tous ensemble (étape 7). Et là “c’est magnifique”, de nouvelles questions arrivent, engendrant un nouveau cycle sur la question suivante.

Tout ça pour quoi ?

On comprend bien que la mise en œuvre d’une telle démarche demande du temps, des moyens, des efforts considérables de la part d’une multitude d’acteurs. Les premières questions des participants au webinaire suite à la présentation ont d’ailleurs porté sur la rétribution du travail de chacun, et sur le nombre de personnes qui ont quitté le projet avant la fin. Sans esquiver les questions, Jean Masson a insisté sur la mise en lien des coûts avec les bénéfices, en citant une étude ASIRPA. En évaluant l’impact d’une cinquantaine de projets depuis 20 ans, elle estime que, pour les projets qui ont donné des impacts, le temps entre le moment où les chercheurs se saisissent de la question et les résultats sur le terrain, est de 19 ans en moyenne. Jean Masson affirme quant à lui que le projet en question a eu des premiers impacts économiques, sociaux et environnementaux en 15 à 18 mois. Nombre d’acteurs présents en début du projet en 2013 continuent à collaborer avec l’équipe de recherche aujourd’hui. Des participants ont certes quitté le projet, en particulier lorsqu’une solution testée pour arrêter les désherbants a échoué. Mais Jean Masson explique que ceux qui sont partis n’ont plus jamais mis de désherbants sur leurs sites. Qu’ils soient partis ou restés, les participants ont eu un choc bénéfique. Des groupes d’acteurs ont par ailleurs manifesté leur souhait de travailler avec les chercheurs suite à la mise en place d’un premier collectif, et le projet s’est ainsi déployé en Alsace et en Suisse. La textonométrie a été mobilisée pour étudier la façon dont le langage des participants avait évolué pendant le projet, à partir des entretiens menés. L’analyse a montré que le langage avait bien évolué, que les vignerons se posent des questions sur leur métier à l’issue de ce projet. Les pratiques ont également évolué, sans que de lien n’ait pu être formellement établi entre le changement de discours et pratiques. Avec inventivité. Il faut en début de projet que les gens aient envie de changer de pratiques, mais certains d’entre eux n’avaient par exemple par envie d’aller en biodynamie, tout en partageant les résultats et l’envie de faire évoluer leur métier. Des gens se sont alors mobilisés pour inventer une alternative, ni biodynamie, ni conventionnelle.

Une remise en question de la science ?

On a lu / vu pour vousJean Masson recommande les ressources d’ALLISS afin d’en savoir plus sur les sciences participatives. Il reconnait différents niveaux, le premier étant celui du « crowdsourcing » ou de la collecte citoyenne de données. La mobilisation de gens pose toutefois question selon lui lorsqu’elle n’est pas suivie : il donne l’exemple de chercheurs ayant produit, en collaborant avec des vignerons, des données « hors du commun ». Mais la restitution des résultats s’étant limitée à la remise de fiches techniques, la mobilisation a fait « pschiit ». Les citoyens deviennent-ils pour autant des chercheurs ? Jean Masson s’en défend. Les vignerons ne deviennent pas des chercheurs, de même que les chercheurs ne deviennent pas vignerons. Interpellé sur la possibilité pour des citoyens de faire appel aux chercheurs dans le but de faire émerger des projets de recherche, Jean Masson estime que cette manière de développer des projets de recherche en France est encore très, très lointaine. Il souligne également les difficultés pour des citoyens à formuler des questions de recherche, et estime que l’implication de chercheurs à ce stade est importante. C’est la somme de différentes formations qui est pour lui à la source de l’action collective : l’hétéroformation, ou le raisonnement inductif ; l’éco-formation, ou l’apprentissage avec et de l’environnement ; et l’auto-formation, ou l’apprentissage à partir de ses réflexions. Si Jean Masson souligne les difficultés à valoriser les résultats de recherches actions participatives, et interpelle l’INRAE quant à son orientation stratégique, il termine en soulignant l’enthousiasme et l’envie d’interdisciplinarité de jeunes chercheurs, qui apparaissent à la fois réconfortant et constructif.

Difficile de ne pas se demander comment mieux impliquer les citoyens dans nos propres projets de recherche après une telle intervention! On se permettra peut-être de regretter le manque de références plus actuelles aux sciences participatives. Si Michel Callon demeure une référence clé en la matière, d’autres références plus récentes et moins philosophiques auraient peut-être été plus évocatrices pour les collègues présents. Mais en 1 heure, il était de toute évidence plus engageant d’évoquer un projet de recherche concret que de faire le tour des références disponibles.

Précisions apportées par Jean Masson et le Collectif Vigie Mer

Jean Masson et le Collectif Vigie Mer confirment qu’étant donnée la taille contrainte de la présentation, et les attentes des participants collectées au moment de leur inscription, la priorité n’a pas été donnée à la présentation de l’approche en sciences humaines et sociales. Jean Masson conseille notamment deux articles précisant les ressources sur lesquelles ils s’appuient:

Moneyron, A., LMC., Westhalten group. et al. Linking the knowledge and reasoning of dissenting actors fosters a bottom-up design of agroecological viticulture. Agron. Sustain. Dev. 37, 41 (2017). https://doi.org/10.1007/s13593-017-0449-3

Masson, J.E., Soustre-Gacougnolle, I., Perrin, M. et al. Transdisciplinary participatory-action-research from questions to actionable knowledge for sustainable viticulture development. Humanit Soc Sci Commun 8, 24 (2021). https://doi.org/10.1057/s41599-020-00693-7