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On a lu pour vous: La participation des jeunes à l’échelle régionale

Suite à une demande d’intérêt  formulée lors de l’assemblée 2022 de la chaire, le présent “on a lu pour vous” propose une synthèse d’études et travaux scientifiques, nationaux et plus spécifiques à la région Nouvelle-Aquitaine,  portant sur la participation des jeunes à l’échelle régionale.

L’échelle régionale s’est « rapidement révélée particulièrement fertile en matière de participation des jeunes » (Lardeux, 2015 : 11).  En 2020, 8 régions françaises sur 13 avaient mis en place un conseil régional des jeunes ou une instance de représentation des jeunes à l’échelle régionale (Parisse et Moalic, 2022). Budgets participatifs, forum, ateliers régionaux sont autant d’autres exemples de dispositifs mis en place par les régions pour faciliter la participation des jeunes.

Pour quelles raisons ?  Divers mouvements de décentralisation ont doté les collectivités territoriales de capacités qui, conjointement aux services déconcentrés de l’Etat, leur ont permis de contribuer fortement à l’institutionnalisation de la participation depuis les années 1990 (Parisse et Moalic, 2022). La région a acquis en particulier des compétences dans les domaines de l’éducation et de l’orientation – des thématiques a priori particulièrement adaptées à la participation des jeunes. Les dispositifs participatifs constituent également un moyen de visibiliser l’action des régions, alors qu’elles « ont longtemps souffert d’un déficit de légitimité politique » (Lardeux, 2015 : 11).

Focus sur les conseils régionaux des jeunes

Les outils participatifs proposés par les régions à destination des jeunes présentent une grande variété. Les conseils régionaux des jeunes sont hétérogènes, dans leur organisation et leur fonctionnement (Parisse et Moalic, 2022).

En termes de composition, certains conseils régionaux prévoient une entrée des jeunes par âge – variable selon les régions – tandis que d’autres s’appuient sur une entrée statutaire. La désignation des jeunes peut intervenir au terme d’un processus électif, d’un tirage au sort parmi celles et ceux qui ont fait acte de candidature, ou bien à l’issue d’une sélection par une commission ou un jury. L’alternance entre des sessions rassemblant l’ensemble des jeunes désignés, et d’autres n’en rassemblant qu’une partie se rassemblant plus régulièrement, apparaît commune à la majorité des conseils. Les liens entre les conseils des jeunes et assemblées régionales sont a priori plus variés : alors que certains sont exclusivement saisis par les élus régionaux, d’autres possèdent également la capacité de t’autosaisir. Toutefois, Parisse et Moalic (2022) relèvent une tendance commune à l’encadrement préalable par les élus régionaux, au moyen d’un accord en amont sur le sujet ou de son inscription des (axes) thématiques pré-fléchés.  Il en ressort ainsi qu’en « dépit de ces variations, il convient de souligner comment les conseils de jeunes participent, à leur échelle, à une forme de limitation des possibilités d’expression des jeunes » (Parisse et Moalic, 2022 : 100).

Des jeunes mis à distance de la gouvernance régionale

Parisse et Moalic (2022) mettent alors en évidence trois manifestations de ce qu’ils qualifient de gouvernance régionale mise à distance des jeunes. En premier lieu, la mise en distance se retrouve dans la définition de la gouvernance territoriale. Les régions, invitées en particulier par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et la citoyenneté à se saisir d’un rôle de chef de fil en matière de politique de jeunesse, s’en sont saisies différemment. Dans une logique d’affirmation institutionnelle, le conseil régional définit lui-même les orientations stratégiques en matière de politique de jeunesse, une logique qui revient donc à exclure les jeunes de la définition des orientations. Le décalage peut aussi être décelé en deuxième lieu entre les sujets abordés par les jeunes, et les sujets qui leur sont proposés, ce qui « limite la possibilité pour ces derniers (ndlr : les jeunes) de développer et d’exprimer un point de vue sur les enjeux d’action publique dont ils sont les principaux destinataires » (Parisse et Moalice, 2022 : 107). En troisième lieu, la mise à distance peut s’observer dans la pratique, au moment des échanges. Les auteurs prennent l’exemple d’un conseil régional au cours duquel plusieurs jeunes participants ont exprimé leurs désaccords vis-à-vis des choix organisationnels : par rapport à la forme – le « caractère magistral » du format proposé – et par rapport à l’absence de jeunes parmi les intervenant.es.

L’opposition entre jeunes d’un côté et élus de l’autre participe également à une mise à distance de la politique (Brusadelli, 2022). En valorisant le côté ludique, coloré, fantasque de l’enfance, le monde des adultes et de la politique est représenté par contraste comme ennuyeux et terne. Les techniques d’animation contribuent à dévaloriser une politique dite « politicienne », qui serait faite de conflits clivants ou d’oppositions stériles, au profit d’une politique du vivre ensemble. Alors que les « grandes phrases » sont données à voir comme potentiellement stériles, les actions concrètes sont encouragées, via des méthodes tels que des world cafés, ou stratégies discursives, visant par exemple à écarter l’idée « peu concrète » d’une réforme institutionnelle. « À ces stratégies discursives viennent s’ajouter les effets propres liés à l’usage de la méthodologie de projet, ou encore ceux qui résultent de l’usage des techniques d’animation participatives, qui conduisent souvent à refuser les débats conflictuels au profit de la mise en avant de propositions concrètes et consensuelles » (Brusadelli, 2022 : 51).

Inscription des dispositifs participatifs destinés aux jeunes dans un processus régional

De dispositifs de même nature, les conseils régionaux des jeunes en l’occurrence, peuvent renvoyer à des objectifs différents : « la simple appellation de conseil régional de jeunes ne suffit bien évidemment pas à garantir une réelle implication des jeunes à la construction des politiques publiques régionales » (Lardeux, 2015 : 35). Et ce pour deux raisons : puisque les conseils s’inscrivent dans la durée, les missions et finalités de chaque conseil régional des jeunes sont redéfinies et renégociés au fil du temps ; la portée d’un conseil ne peut pas s’apprécier isolément, il faut nécessairement considérer la façon dont il est articulé avec d’autres instruments au sein de la région. Il en est de même pour le budget participatif par exemple : le pouvoir décisionnaire dépend plusieurs facteurs, comme le montant, le système de vote, ou encore l’orientation même des fonds.

Les dispositifs correspondant à de l’implication « effective et directe » des jeunes, qui supposeraient d’accorder aux jeunes le pouvoir décisionnaire, se retrouvent toutefois rarement dans la pratique. Au terme de l’analyse d’une centaine d’actions et dispositifs de participation des jeunes, les dispositifs étudiés contribuent plutôt à réduire l’écart entre les acteurs décisionnaires et les destinataires des politiques publiques, « sans remettre en cause les hiérarchies et les relations verticales entre jeunes et élus » (Lardeux, 2015 : 43). Le processus participatif régional ne peut par ailleurs pas s’appréhender à partir d’outils pris isolément. Alors qu’une offre participative fragmentée peut être considérée avec suspicion, et générer de la frustration, l’articulation des dispositifs favorise l’adhésion des jeunes.

Lardeux (2015) en donne deux exemples. La région Pays de Loire cherche à consulter un plus grand nombre de jeunes via une « vaste consultation pyramidale du local au régional » visant à couvrir l’ensemble du territoire. Des commissions thématiques et comités de liaisons sont ainsi articulés au conseil régional des jeunes, auxquels s’ajoutent des rencontres de proximité ou encore des forums départementaux, culminant en une conférence régionale des acteurs de la jeunesse. En région Rhônes-Alpes, l’articulation se réalise par les membres de la commission jeunes, issues de diverses instances telles que des agoras ou bien le Parlement européen des jeunes. Leur participation à différents dispositifs permet non seulement de créer des passerelles entre eux, mais aussi d’aider à faire « fructifier l’engagement des jeunes » qui deviennent alors force de proposition : « la commission est consultée non seulement sur des politiques sectorielles liées à la jeunesse, mais aussi plus largement sur des sujets transversaux aux politiques régionales (transport, santé, logement, culture) » (Lardeux, 2015 : 37).

Ce qu’en pensent les jeunes participants

Avec la multiplication des dispositifs participatifs déployés à l’échelle régionale, les partenariats se sont diversifiés, et ce à différents échelons. Toutefois, Lardeux (2015) note que « cette variété d’échelons ne va pas encore de pair avec une variété des publics jeunes impliqués ».  L’enquête de 2021 (Tucci et al.) auprès des conseils des jeunes confirme « une certaine homogénéité sociale », se traduisant par des parents plus diplômés que la moyenne nationale, un manque de diversité ethnique ou encore la surreprésentation de certaines formations, au détriment d’autres.

Si le tirage au sort – mode de désignation majoritaire à l’échelle régionale – apparaît susceptible de favoriser une plus grande diversité, il s’appuie de fait sur des candidatures volontaires. Ainsi, « ce mode de désignation par tirage au sort ne peut mener qu’à plus de diversité si tant est que ceux et celles qui se déclarent volontaires aient des profils divers et les ressources sociales leur permettant de candidater » (Tucci et al, 2021 : 32).

De jeunes conseillers blâment notamment une mauvaise communication : des jeunes d’origine étrangère remarquent par exemple un manque de diversité au sein des jeunes représentés sur les affiches des campagnes d’appel à candidatures. Ils évoquent encore la difficulté pour les jeunes salariés de se rendre disponible aux horaires proposés. L’enquête confirme que la motivation des jeunes à se présenter a été facilitée par leurs réseaux de proches, et que « l’engagement sous diverses formes est finalement souvent un préalable à l’engagement dans un conseil de jeunes » (Tucci et al, 2021 : 27).

Les jeunes ont conscience du manque de mixité au sein des dispositifs participatifs régionaux et le déplorent : centre voient le manque de diversité sociale et ethnique « comme un frein à l’élaboration de projets qui émaneraient de positions et de points de vue divers » (Tucci et al, 2021 : 35). Ils interrogent également le caractère apolitique affiché par certains conseils, qui « ne veut rien dire » (Tucci et al, 2021 : 44). Certains ont pleinement conscience de la dimension politique des conseils, qui leur permet par exemple d’interroger les conséquences des réformes, politiques et actions envisagées. « Certain.es jeunes peuvent alors ressentir une tension entre leur aspiration à être des sujets politiques et politisés et le fait que leur parole potentiellement politique soit inaudible pour les instances territoriales » (Tucci et al, 2021 : 46).

Si les jeunes conseillers régionaux acquièrent une meilleure compréhension des questions politiques, capacité de s’exprimer ou encore de participer, ils sont peu nombreux à s’engager politiquement, en adhérant à un parti. En revanche, leur intérêt pour un engagement politique se traduit notamment premièrement par une participation associative ; deuxièmement par la signature de pétitions ; et troisièmement par la participation à des débats locaux (Tucci et al, 2021 : 45).

Participation et engagement des jeunes

Des enquêtes menées au sein de la région Nouvelle-Aquitaine auprès de jeunes mettent en avant des priorités et modes d’engagement en évolution.

Internet et les réseaux sociaux sont désormais l’une des places principales de l’engagement des jeunes. La médiatisation est envisagée comme un moyen de provoquer du débat. L’environnement est le sujet principal de préoccupation pour plus d’un tiers de jeunes de 18 à 34 ans (Przygoda, 2022).

Les jeunes éco-engagés formulent des critiques virulentes à l’égard des acteurs politiques et des entreprises, estimant que les écogestes citoyens ne seront pas suffisants pour résoudre la crise climatique et environnementale. La radicalisation des jeunes est plus importante que celle de leurs ainés. Ils sont par exemple plus nombreux à justifier le recours à la violence physique, et à être favorables à des mesures gouvernementales fortes telles que l’emprisonnement de dirigeants d’entreprises polluantes (Lachance et Mane, 2022 : 23).

L’exemple des jeunes éco-engagés néo-aquitains renvoie à une évolution plus générale des formes d’engagement des jeunes. Tiberj montre ainsi une transformation de la participation : « ce n’est pas une crise de la participation qui se joue à travers le renouvellement générationnel, mais une transformation de la participation, plus expressive et moins dépendante des acteurs politiques traditionnels » (Tiberj, 2017 : 6). D’autres formes de participation que le vote se sont développées durant les dernières décennies, comme les boycotts, pétitions ou manifestations.

Alors que les sujets de préoccupations comme les modalités de participation des jeunes évoluent, les instances telles que les conseils régionaux des jeunes peuvent « apparaître en décalage avec l’expression, par les jeunes générations, d’une défiance accrue à l’égard des formes instituées de la participation politique, à laquelle s’ajoute une aspiration au développement de logiques plurielles de mobilisation davantage centrées, par rapport aux autres classes d’âge, sur une logique de protestation s’exprimant par des pétitions, des manifestations ou encore des boycotts […] Ce décalage trouve particulièrement à s’exprimer dans un encadrement a priori des modalités de travail et d’expression des conseils de jeunes, ce qui entretient une logique de dépolitisation des échanges en leur sein » (Parisse et Moalic, 2022 : 101).

Références

Brusadelli, N. (2022). «Faire participer les jeunes». La contribution de l’éducation populaire à la socialisation militante juvénile. Revue française de pédagogie, 45-56. Disponible en ligne.

Lachance, J., & Mane, I. (2022). Le rapport des jeunes aux enjeux environnementaux en France. Les 15-24 ans sont-ils différents de l’ensemble de la population? (UMR 6031 TREE; Université de Pau et des Pays de l’Adour; CNRS). Disponible en ligne.

Lardeux, L. (2015). Dispositifs de participation des jeunes au niveau des conseils régionaux. Rapport d’étude, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), Paris. Disponible en ligne.

Parisse, J., & Moalic, M. (2022). Les jeunes dans les politiques des conseils régionaux: cartographie d’une prise en compte entre secteurs, population et territoire. Agora, (3), 97-112. Disponible en ligne.

Przygoda, M. (2022). Climat : une jeunesse engagée pour l’environnement. La Nouvelle République. Disponible en ligne.

Tiberj, V. (2017). Les citoyens qui viennent: Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France. PUF.

Tucci, I., Recotillet, I., Berthet, T., & Bausson, S. (2021). Conseils de jeunes et participation: étude auprès des collectivités et de jeunes engagés (INJEP Notes & rapports). Disponible en ligne.

Voir également : Le projet ECOCOV. Engagement des jeunes – De nouvelles tendances identifiées.