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Quels «-centrisme » adopter avec les vivants ?

Aux débuts actuels de ma thèse, j’étudie la littérature existante sur mon sujet et je repère d’autres outils similaires (par la forme ou par le fond) à celui que je vais tester. J’ai ainsi découvert la Fresque des Imaginaires via mon benchmarking. L’analyse de cet outil m’a servie de prisme pour regrouper certaines de mes lectures plus théoriques autour des différentes façons de « centrer » notre regard sur la nature. C’est cette première synthèse que je vous délivre ici.

Une découverte depuis la Fresque des Imaginaires

Dernière version connue du canevas de la Fresque des Imaginaires (source).

L’imaginaire

  • personnel
  • collectif
  • social

Paysage imaginaire par l’artiste peintre surréaliste Jacek Yerka (source).

Plusieurs types d’imaginaires ?

Les 4 visions de la relation homme-nature

Représentation schématique des services écosystémiques (source).

« … soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1 : 28).

« Yahvé Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2 : 15).

Jan Brueghel el Viejo, El Jardín del Edén, vers 1610–1612 (source).

L’homme de Vitruve par Leonard de Vinci, qui peut être considéré comme le symbole allégorique emblématique de l’Humanisme, de la Renaissance, du rationalisme et surtout d’une vision positionnant l’Homme au centre de tout (source).

Représentation du « Grand Partage » (source).

Biocentrisme

  • « Le bien-être et l’épanouissement des formes de vie humaines et non-humaines de la Terre ont une valeur en elles-mêmes.
  • La richesse et la diversité des formes de vie contribuent à la réalisation de ces valeurs et sont également des valeurs elles-mêmes.
  • L’Homme n’a pas le droit de réduire la richesse et la diversité biologique, sauf pour satisfaire des besoins humains vitaux. »

Proposition d’illustration de couverture par Alessandro Pignocchi pour son Petit traité d’écologie profonde (source).

Marc Chagall, Adam et Eve chassés du paradis, 1961 (source).

Avatar : la tsaheylu est un lien biochimique qui unie les Na’vi (peuple représentant le mythe du bon sauvage) aux espèces animales qu’ils chevauchent (source).

Écocentrisme

Ecostystem of the Mediterranean Basin, par l’artiste Rachel Ignotofsky, parmi sa série de micro-écosystèmes dans son livre The Incredible Ecosystems of Planet Earth (source).

Merveilleuse nature, par Nathalie Béreau et Michaël Cailloux (source).

Orphée charmant les animaux, mosaïque trouvée à Palerme, dans les vestiges d’un édifice où se tenait un culte dionysiaque, IIIe siècle après J.-C., Musée archéologique de Palerme, Sicile (source).

Distinctions entre biocentrisme et écocentrisme ?

Incilius periglenes ou Crapaud doré, qui aurait disparu en 1989 (c’est-à-dire qu’aucun individu de cette espèce n’a été observé depuis) (source).

Multicentrisme

  • La coévolution

L’homo sapiens n’est pas le « but » de l’évolution et il n’est pas l’être le plus complexe biologiquement. Il y a coévolution et codépendance entre les espèces. Les perturbations font parties de la dynamique d’évolution : la nature ferait autrement, quelle que soit l’espèce qui disparaitrait. L’humain est différent (sans être séparé comme dans l’anthropocentrisme) des autres espèces uniquement de par sa conscience du monde et des risques qui pèsent sur lui. C’est un peut ce qu’exprime Edgar Morin en estimant que « les forces conscientes humaines et les forces inconscientes de la nature devraient collaborer » (Morin, 2005, paragraphe 42). Morin parle également de l’humain comme « co-pilote » de la nature. Cette idée de partenariat entre espèces conscientes et inconscientes reprend également un peu l’idée du contrat naturel de Michel Serres. Il s’agit donc ici de favoriser une évolution en interaction constructive avec un environnement changeant, de manière profitable à l’ensemble des êtres vivants, sans préférence.

  • La responsabilité

En raison du développement de sa conscience, l’humain est responsable de ses actes. Dans la vision multicentrique, la responsabilité humaine s’exerce dans le cadre d’un partenariat et d’une « communauté de destin » sur la planète.

  • La raison et les sentiments

Il est nécessaire de connaître la nature par les deux approches, en les faisant cohabiter. Laisser la place aux sentiments peut également être compris comme accepter une part de spiritualité. Concernant les sentiments, Nicole Huybens pense que le « sentiment d’amour » s’exerce en lien avec la nature. Pour Morin, l’amour est la valeur des valeurs de l’éthique. Pour se référer à la multitude de formes de l’amour, on peut utiliser le terme générique « bienveillance ». Celle-ci appelle souvent une certaine forme d’anthropomorphisme, puisque la compréhension de l’autre consiste aussi à projeter sur le monde des sentiments dont nous ignorons s’ils sont aussi présents ailleurs dans la nature (Huybens, 2011).

  • Le holisme et l’individualisme

Ne voir que l’individu fait oublier l’espèce. Mais ne s’occuper que de l’espèce fait disparaître l’individu. La vision multicentrique prend en considération l’individu comme le fait le biocentrisme (à l’égard de chaque être vivant) ou l’anthropocentrisme (uniquement à l’égard de chaque être humain), elle prend aussi en considération les espèces et les écosystèmes comme le fait l’écocentrisme.

  • Le dialogue

Distinctions entre multicentrisme et écocentrisme ?

  • Il semblerait que, contrairement à l’écocentrisme, le multicentrisme reconnaisse la « nature-partenaire » comme « agissante » : peut-être au sens de l’agency de Bruno Latour ?
  • L’autre nuance entre les deux regards pourrait être l’affirmation et l’acceptation par le multicentrisme de la spécificité humaine (de par le langage ainsi que la prise de conscience de soi et de l’état du monde), sans la séparer trop du reste de la nature (l’être humain appartient au même ordre physique que le reste des vivants bien qu’il se soit libéré d’un certain nombre de déterminismes naturels. Ce fait lui impose des responsabilités en retour. De plus, sa disparition aurait un impact similaire à/aussi souhaitable que celle d’une autre espèce). En ce sens, il accepte également certaines formes d’anthropomorphisme pouvant aider à la bienveillance et à l’envie de comprendre les autres formes de vie. De même, les multicentristes rapprochent cette idée du concept d’« unidualité » d’Edgar Morin. La simplification des relations humain-nature (ici de l’humain au naturel, l’écocentrisme) ou sa disjonction (ici entre l’humain et le naturel, avec le biocentrisme) « empêche de concevoir l’unidualité (naturelle et culturelle, cérébrale et psychique) de la réalité humaine, et empêche également de concevoir la relation à la fois d’implication et de séparation entre l’homme et la nature » (Morin, 1991).
  • Le multicentrisme prône également pouvoir penser à deux niveaux à la fois : celui de l’individu (y compris l’humain, contrairement au biocentrisme) et de l’espèce. Pour ce courant, le biocentrisme fait oublier l’espèce, qui devient alors une abstraction, alors que l’écocentrisme ne prend pas assez en compte les individus pourtant nécessaires à la compréhension des relations inter-êtres. Toutefois, cette idée se retrouve difficile à exercer en pratique…

Récapitulatif

  • Séparation ↔️ unité (de l’humain et des autres entités)
  • Anthropocentrisme ↔️ non-anthropocentrisme (selon la reconnaissance d’une valeur intrinsèque/non-instrumentale élargie ou non aux autres entités que les humains)
  • Individualisme ↔️ Holisme (individu ou écosystème)

Et vous, comment regardez-vous cet écureuil ? Comment vous considérez-vous par rapport à lui ?(photographie d’Igor Talanov)

Références de l’article

Le blog “Chroniques Docterrestres” par Éléonore Sas

Doctorante au sein de la chaire (entre La Rochelle Université et le CNRS), je rends compte ici de mes travaux et de mes pérégrinations dans la recherche…
Plus précisément, mon sujet de recherche porte sur l’exploration de nos rapports à la nature via les jeux sérieux.

Ce blog est entièrement écrit par mes soins et ne reflète en aucun cas l’avis du reste de la chaire.