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“Déconstruire” notre rapport à la nature : retour rapide sur le concept de Jacques Derrida

Le concept de « déconstruction » correspond avant tout à celui formulé par Jacques Derrida (2004).
Point d’attention : Derrida cherche à éviter les cloisonnements. Pour cette raison, la définition même de ses concepts (comme celui de déconstruction) lui pose problème : “c’est que toute « définition » de la déconstruction se prête elle-même à un exercice déconstructeur, dont on peut au moins dire qu’il consiste à développer une méfiance vis-à-vis des mots, des concepts et des certitudes que nous habitons en rappelant qu’aucun langage n’est innocent […]” (Grondin, 2003).
Toutefois, Derrida s’est résolu à tenter une définition de la déconstruction dans les années 1980. Cette article se base sur celle-ci ainsi que sur des lectures complémentaires et ma propre réflexivité.

Ce philosophe français a fait ressortir l’existence de catégories binaires qui structurent nos manières de penser. Ces catégories binaires seraient également fondées sur des présupposés prétendument immuables favorisant toujours un des deux pôles (par exemple « vie » contre « mort »). L’identification des dualismes permet de remettre en cause leur exclusion mutuelle et de neutraliser l’emprise rigide de l’un sur l’autre, en détricotant leurs origines socio-historiques (sans pour autant les détruire). Ainsi, il n’y a pas d’opposition pure ni de centre entre deux termes mais plutôt une absence de structure et une pluralité de nuances.

Vie/Mort, Humain/Nature… autant de dualismes hiérarchisés (source image).

La déconstruction s’attaque ainsi à déplier, à rendre compte de l’héritage et de la complexité que portent des frontières métaphysiques.

“Quand cette déconstruction a commencé à être étudiée en Europe et en Amérique du Nord, au milieu des années 1970, il s’agissait d’abord de tenter de dépasser les oppositions binaires d’origine métaphysique (nature / culture, présence / absence, parole / écriture, ici / ailleurs, corps / âme, etc.) et plus particulièrement la « hiérarchisation violente » qui y était presque toujours implicitement associée.
La déconstruction était alors en premier lieu un « sur-retournement » de ces oppositions, non pas pour mettre l’autre terme en avant mais pour penser au-delà de la structure oppositionnelle elle-même.”
— Barrau, 2017 (https://diacritik.com/2017/03/20/qui-a-peur-de-la-deconstruction-pour-une-philosophie-du-don/)

Largement diffusée, cette idée est parfois utilisée comme un outil conceptuel qui révèle chez certains aspects de la réalité ce qu’ils ont de constructions sociales (et donc qu’ils peuvent être déconstruits) : par exemple, les féministes proposent de déconstruire les notions du genre.

Point d’attention : plus tard, Derrida fera évoluer ce concept vers une déstabilisation des choses elles-mêmes, mais nous ne retenons pas cette définition ici. Si cette version plus aboutie vous intéresse (en plus d’informations détaillées sur le concept en général), je vous recommande d’aller voir cette source : https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0506091008.html

Déconstruire son rapport à la nature

Transcender par la déconstruction

Dans mon travail de thèse, je cherche à aider des individus à transcender leur rapport occidental moderne classique à la nature. Ce rapport est fondé sur de nombreux dualismes, dont le plus connu peut-être nommé “Nature-Culture” ou “Humain-Nature”.

“De nombreux auteurs ont attiré l’attention sur les trois dualismes fondamentaux à l’œuvre dans ce que j’ai nommé ici la forme hégémonique de l’euro-modernité : la partition nature / culture, la coupure nous / eux — l’Occident et les Autres, les Modernes et ceux qui ne le sont pas, les Civilisés et les Sauvages, etc. –, et celle qui sépare le sujet de l’objet — le binôme corps / esprit par exemple.“
— Escobar, 2020

Pour ce faire, j’entends le terme “transcender” comme ce processus de déconstruction, au premier sens que lui avait donné Derrida. Il s’agit ainsi pour un individu de décortiquer l’origine et la composition de ses catégories binaires « humain » et « nature », ainsi que les relations entre ces deux pôles, dans l’objectif de ne plus opposer ces polarités mais bien de les mettre en tension, de les faire coexister, via des jeux d’interrelations fertiles et dynamiques (Pignier, 2017).

Affronter la séparation nette entre deux termes par la prise de conscience, l’analyse, et donc la connaissance de soi (Valley of Knowledge par Jacek Yerka).

S’inspirer concrètement de la déconstruction

Pourtant, le concept de déconstruction de Derrida n’est pas une méthode (Derrida, 1987). En effet, il se veut profondément rattaché à l’imprévisible et à la non-anticipation, contre toutes formes de procédure : “la déconstruction est au mieux un exercice de vigilance, mais qui doit rester indéfinissable” (Grondin, 2003).

“Derrida fait très attention à éviter l’emploi du terme ‘méthode’ parce qu’il charrie les connotations d’une forme procédurale de jugement. Un penseur doté d’une méthode a déjà décidé comment procéder […]. Pour Derrida… c’est l’irresponsabilité elle-même”
— Barrau, 2017 (https://diacritik.com/2017/03/20/qui-a-peur-de-la-deconstruction-pour-une-philosophie-du-don/)

Toutefois, la déconstruction n’invite pas non plus à l’inaction. Ainsi, on retrouve trois grandes étapes d’un processus de déconstruction qui sont souvent décrites et peuvent être simplifiées comme ceci :

  1. se rendre compte du dualisme et de la hiérarchisation des pôles,
  2. puis renverser cette hiérarchie,
  3. avant de neutraliser le dualisme en cherchant le continuum de possibles entre les deux termes et la part restante de l’un dans l’autre.
Schéma personnel des trois grandes étapes de déconstruction, illustrées par l’exemple à gauche du dualisme “Humain-Nature”

Ainsi, la déconstruction est une ouverture d’une question dont ma thèse peut s’imprégner et qui peut inspirer de nouvelles méthodes d’enquêtes. De même, Derrida a beaucoup travaillé sur l’analyse des effets des mots et des signes sur nos structures de pensées (sur lesquelles repose la déconstruction). Je reprends cette même logique en axant la majorité de mes indicateurs de mesure de doctorat sur des éléments de langage.


Références de l’article

Derrida, J. (1972). La dissémination. Éditions du Seuil.

Derrida, J. (1987). Psyché : Inventions de l’autre. Galilée. http://digitool.hbz-nrw.de:1801/webclient/DeliveryManager?pid=2950516

Derrida, J. (2004). Qu’est-ce que la déconstruction ? Commentaire, Numéro 108(4), 1099‑1100. https://doi.org/10.3917/comm.108.1099

Escobar, A. 2020. Chapitre 3. Les fondements de notre culture : rationalisme, dualisme ontologique et relationalité. In Autonomie et design : La réalisation de la communalité. EuroPhilosophie Éditions. doi : 10.4000/books.europhilosophie.978

Grondin, J. (2003). La définition derridienne de la déconstruction. In Le tournant herméneutique de la phénoménologie (p. 103‑118). Presses Universitaires de France. https://www.cairn.info/le-tournant-hermeneutique-de-la-phenomenologie–9782130520177-p-103.htm

Pignier, N. (2017). Le design et le vivant : Cultures, agricultures et milieux paysagers. Editions Publibook.