On a vu pour vous: À la découverte des sciences et recherches participatives !
Le 14 juin 2024, la chaire Participations Médiation Transition citoyenne, la cellule Science & Société de La Rochelle Université et la Fédération de Recherche en Environnement pour le Développement Durable (FREDD), en partenariat avec le Musée Maritime de la Ville de La Rochelle, ont organisé une journée d’étude sur les sciences et les recherches participatives. L’équipe d’organisation remercie encore une fois, et chaleureusement, l’ensemble des intervenant.e.s et des participant.e.s à cette journée !
Ce “On a vu pour vous” vous est proposé par Nina Colin et Amélie Monfort
Les sciences et recherches participatives, qu’est-ce que c’est ?
Par Nina Colin — Doctorante en épistémologie à l’Université de Strasbourg.
La journée a débuté avec l’intervention de Nina Colin, doctorante en épistémologie à l’Université de Strasbourg, qui étudie les enjeux et les conditions de réplicabilité possible des démarches de recherches participatives. Par sa présentation introductive aux sciences et recherches participatives (SRP), elle a souligné la complexité de présenter les SRP, tant les ramifications historiques et pratiques sont nombreuses. L’héritage des SRP est multiple dans le temps et l’espace, allant de la participation des amateurs à la science, notamment pour ce qui est des sciences participatives, en passant par la recherche-action-participative à vocation politique et émancipatrice qui émerge en Amérique Latine (Fals Borda, 1985 ; Rodriguez Brandao, 1987), sans oublier les recherches collaboratives en gestion, historiquement tournées vers l’amélioration des pratiques professionnelles par l’intervention directe, et influencées par les travaux de Kurt Lewin (1946). Les SRP se caractérisent par la pluralité de pratiques qu’elles recouvrent et la diversité de postures, de visées, de motivations et de méthodes déployées. Finalement, il ne s’agit pas d’un ensemble homogène, bien au contraire, et des définitions plurielles, parfois concurrentielles, co-existent.
L’objectif de la journée n’était donc pas de définir les SRP ou d’en proposer une typologie, d’autres l’ayant fait par ailleurs, mais de mettre en lumière cet ensemble hétérogène et foisonnant de collaborations entre science et société, qui constitue le terreau fertile de la co-production de connaissances et qui cherche à transformer la recherche et la société. Ainsi, les présentations suivantes visaient à illustrer cette diversité en donnant la parole à des acteurs, chercheurs et praticiens, engagés dans des formes de coopération science-société a priori différentes dans le vaste champ des SRP.
LES SCIENCES PARTICIPATIVES
Sciences participatives : un changement profond dans la manière de produire des données
Par Romain Julliard, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et directeur de l’unité Mosaic.
Un premier éclairage du champ des SRP a été apporté par des travaux en sciences participatives, axés sur la participation des citoyens au processus de recherche par la collecte et la production de données. Romain Julliard, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et directeur de l’unité Mosaic, a défini les sciences participatives comme de la collecte de données par des citoyens volontaires, qui sont mises en communs et utiles à l’intérêt général.
L’objectif initial des programmes de SP est ainsi de produire des données en quantité et de qualité, autrement inaccessibles, comme illustré par le programme SPIPOLL sur le suivi photographique des insectes pollinisateurs. SPIPOLL vise à constituer, grâce à la photographie amateure, un observatoire de la diversité des insectes pollinisateurs qui sont soumis à de multiples pressions liées au réchauffement climatique, à l’artificialisation du territoire et à l’intensité des pratiques agricoles.
Les citoyens-participants contribuent de manière autonome tout en respectant un protocole scientifique rigoureux défini par les chercheurs. Ils créent des collections de photos d’insectes à partir de leurs sorties, discutent des données sur des forums en ligne, et forment ainsi des réseaux de participants engagés. Bien que l’impact des SP sur la science soit la priorité, des questions et des objectifs supplémentaires émergent quant aux effets sur les participants, notamment en termes d’apprentissage. Un autre cas de l’unité Mosaic, – le programme SPOT, explore comment les citoyens peuvent participer, à travers les SP, à l’élaboration d’une politique publique sur l’éclairage urbain, en partageant avec leurs mairies leurs expériences de l’obscurité et leurs opinions sur l’éclairage public.
Collaboration fructueuse entre acteurs de terrain et chercheurs. Exemple avec l’évolution du programme BioLit
Par Marine Jacquin de l’association Planète Mer et Isabelle Landriau de l’E.C.O.L.E de la Mer.
Le programme BioLit sur la biodiversité du littoral est une autre démarche de sciences participatives. Celle-ci s’articule autour de trois objectifs complémentaires : un objectif scientifique pour une meilleure connaissance des écosystèmes littoraux, un objectif de gestion des territoires tourné vers la préservation et la conservation des habitats et espèces, et un objectif d’éducation à l’environnement et à la nature. Pour cela, l’association Planète Mer, qui coordonne le programme, mise sur trois piliers interdépendants : les sciences de la conservation, pour développer les protocoles et analyser les données ; la sociologie, qui a permis de mieux connaître les leviers de la participation au programme et ainsi d’améliorer les retours proposés par l’association aux participants ; et la mobilisation des parties prenantes, par la formation, l’animation de réseau, l’accompagnement et la médiation scientifique. En effet, l’association Planète Mer peut compter sur ses nombreux relais, répartis sur tout le littoral français, tel que l’association E.C.O.L.E de la Mer à La Rochelle, relai BioLit depuis 2012 Elle a pour objet la diffusion de la culture scientifique et technique sur les thèmes de la biodiversité marine et des espaces littoraux en direction des publics les plus larges.
Les protocoles BioLit proposés ont été développés avec le Muséum National d’Histoire Naturelle de Dinard et permettent aux citoyens de partager avec les scientifiques leurs observations des espèces du littoral, que ce soit en autonomie ou accompagnés par un enseignant ou une structure relais. Après 10 années d’étude, les données collectées ont abouti à une publication scientifique (Serranito et al., 2021) permettant de mieux comprendre les réponses des communautés de bigorneaux face aux pressions environnementales et aux pollutions humaines. Aujourd’hui, le soutien de l’ANR permet à BioLit de poursuivre son chemin avec le projet ESPOIRS qui a pour objectif de produire des bio-indicateurs participatifs rendant compte de l’état général d’un estran. Là-aussi, l’objectif de production de données scientifiques s’est progressivement élargi pour inclure un volet pédagogique auprès des participants, visant à améliorer la reconnaissance des espèces grâce à l’expérience d’observation, les interactions entre contributeurs et la consultation des ressources disponibles.
LES RECHERCHES PARTICIPATIVES
Bousculer la hiérarchie des savoirs et des pouvoirs : les recherches participatives comme leviers de lutte contre les injustices épistémiques ?
Par Maïté Juan, maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, ÉMA / CY Cergy Paris Université.
Le deuxième éclairage proposé sur les SRP a commencé par l’intervention de Maïté Juan, maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation. Elle propose d’envisager les recherches participatives comme levier de lutte contre les injustices épistémiques, dès lors qu’elles permettent de bousculer la hiérarchie des savoirs et des pouvoirs. Les épistémologies radicales de recherches participatives reconnaissent une capacité critique des standards dominants dans le contexte scientifique, en permettant une participation à chaque étape de la recherche. Ces démarches viennent bousculer la question de la neutralité scientifique qui est encastrée dans des modèles dominants. Il n’est alors pas possible de disjoindre la question des savoirs et des pouvoirs. Ces recherches participatives critiques sont rattachées : (i) aux expériences décoloniales et postcoloniales impliquant une remise en question de l’appropriation des terres, (ii) aux recherches féministes, qui ont apporté une autre dimension aux RP en viabilisant les savoirs situés, corporels, émotionnels, dans la construction des savoirs scientifiques (iii) et aux desabilities studies, en santé mentale, qui ont permis de prendre en compte l’expérience des patients afin d’adapter les traitements, à une époque où de nombreuses violences symboliques émanaient de la psychiatrie, sans prise en compte des usages dans le vécu des traitements.
Elle a illustré ses propos en présentant le cas de l’espace collaboratif d’ATD Quart Monde, un mouvement international qui vise l’éradication de la misère. Le projet a émergé d’universités populaires dans les bidonvilles. L’objectif est de donner la parole à ceux et celles qui ont l’expérience de la pauvreté et de faire reconnaître les savoirs de la pauvreté en politique, afin de faire bouger les lignes. Il s’agit d’une démarche de croisement des savoirs reposant sur une posture éthique et politique. En pratique, les projets impliquent également des travailleurs sociaux et des chercheurs de « métier ». La démarche s’appuie dans un premier temps sur des espaces de non-mixité choisis comme forme d’entre-soi partiel et temporaire, pour ensuite permettre la confrontation à d’autres groupes sociaux et l’émergence des savoirs, par ce processus de socialisation progressive. ATD Quart Monde est un exemple représentatif de la dimension politique portée par les recherches participatives reposant sur des épistémologies radicales. Pourtant, si en théorie ces démarches relèvent de l’idéal, plusieurs points de friction peuvent émerger, des tensions parfois fructueuses, mais pouvant faire l’objet de nombreuses accusations, notamment celle de mêler militantisme et production scientifique.
Maïté Juan a conclu sa présentation en soulignant plusieurs enjeux liés aux sciences et recherches participatives. Elle identifie d’abord des défis relatifs au périmètre d’intervention du citoyen ; au rôle du chercheur, dès lors que le champ de la problématisation est laissé ouvert (desempowerment épistémique) ; à l’impact sur la science (pluralité de la science ou logique d’éducation, de transmission) ; et à l’impact sur la société (perspective critique allant de la mise en visibilité des savoirs ignorés à la mise à l’agenda politique de ces sujets, ou perspective plus fonctionnelle). Elle soulève ensuite une série d’autres enjeux d’ordre pratique, méthodologique et éthique, tels que la propriété collective des savoirs produits ; le respect d’une charte éthique visant à éviter la reproduction des violences symboliques dans la recherche ; la question de la gratification monétaire ou symbolique valorisant le travail des citoyens-participants ; ains que la sélection des participants, qui interroge la représentativité des personnes choisies et impliquées dans les processus de RP.
L’exemple du projet CITTEP : une recherche-action révélatrice d’inégalités de participation. Travailleurs viticoles du Blayais et usages des pesticides, une prise de parole quasi-impossible
Par Ludovic Ginelli, Sociologue à l’INRAe, unité ETTIS
La dernière intervention de la journée était celle du sociologue Ludovic Ginelli. À partir d’une recherche-action menée auprès des travailleurs viticoles du Blayais et portant sur l’usage des pesticides, il a illustré un autre exemple de recherche participative. Cette démarche avait pour objectif de donner la parole aux travailleurs agricoles, sans-voix dans le débat public sur les pesticides, malgré le fait qu’ils en soient les premiers concernés. L’objectif était d’examiner comment et sous quelles conditions une recherche-action pouvait contribuer à réduire ce constat d’inégalité, en mobilisant le concept des inégalités environnementales et en mettant en lumière des enjeux sanitaires, démocratiques et de justice (capacités, pouvoir de participation).
Les résultats ont révélé une participation fragile des viticulteurs à la recherche. Dans un premier temps, des connaissances ont émergé au sein des groupes de pairs sur leurs préoccupations et les difficultés à les intégrer au débat public. Cependant, dans un second temps, une démobilisation des participants a été observée lors de la phase d’approfondissement des pistes de solutions qu’ils avaient pourtant choisies, mais qui les invitaient à agir et à se confronter à d’autres groupes sociaux. Ludovic Ginelli a conclu en soulignant à la fois la portée et les limites d’une recherche-action menée à l’échelle locale, face à un problème systémique nécessitant des réponses structurelles et institutionnalisées.
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Pour finir, l’après-midi a été consacré à un temps d’échanges entre les intervenants et les doctorant·e·s et jeunes chercheur.euse.s, afin d’approfondir certaines réflexions. Les questions posées ont par exemple interrogé des aspects pratiques des SRP, et mis en lumière des freins encore persistants lorsqu’il s’agit de déployer ce type de dispositif : comment faire pour « aller chercher » les personnes qui n’ont pas l’habitude de prendre part à ces dispositifs ? Conseilleriez-vous à des jeunes chercheur.euse.s de se lancer dans des recherches participatives ? Des questions théoriques ont également émergé : comment définir concrètement la notion de « visée transformative », souvent mobilisée pour décrire les enjeux des SRP ? Une recherche peut-elle être qualifiée de participative uniquement lorsque les citoyens sont impliqués à toutes les étapes du processus ?
Les échanges ont notamment permis de faire ressortir l’idée que les pratiques de SRP ne remettent pas en cause les expertises respectives (association, chercheur, participant), mais devraient reposer sur une prise de décision collégiale, sans pour autant que « tout le monde participe en même temps ». Il est plutôt question de reconnaître la légitimité de chacun à participer à la production du savoir ; le chercheur peut alors être envisagé comme un allié.
Tout au long de la journée, des questionnements et des pistes de réflexions permettant de caractériser les démarches de sciences et recherches participatives ont donc été dessinés. Celles-ci concernaient tout à la fois la participation du citoyen/praticien que celle du chercheur, mais également l’impact sur la science et sur la société, pour reprendre les catégories d’analyse de Maïté Juan (2021). Ces interrogations restent ouvertes : (i) quelles sont les différences et les points d’interaction entre les démarches de sciences participatives et de recherches participatives ? (ii) Actuellement, quels sont les principaux enjeux des SRP ? (iii) Quels sont les apports des SRP à la société et aux pratiques de la recherche ? (iv) Comment les SRP modifient-elle le processus de production de connaissances ? A quelles étapes et par quels acteurs ?
Retrouver les documents en lien avec la journée dans Nos événements passés
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Borda, O. F., Reason, P., & Bradbury, H. (2006). Participatory (action) research in social theory: Origins and challenges. Handbook of action research: Participative inquiry and practice, 27-37.
Brandao, C. R. (1987). Repensando a pesquisa participante–3ª Edição. São Paulo: Brasiliense.
Charvolin F. (2021). « L’importance des cadrages dans l’apprentissage de la reconnaissance des espèces en sortie de science participative », dans revue ¿ Interrogations ?, N°32.
Godrie, B., Juan, M., & Carrel, M. (2022). Recherches participatives et épistémologies radicales : Un état des lieux: Participations, N° 32(1), 11‑50. https://doi.org/10.3917/parti.032.0011
Juan, M. (2021). Les recherches participatives à l’épreuve du politique. Sociologie du travail, 63(1). https://doi.org/10.4000/sdt.37968
Lewin, K. (1946). Action research and minority problems. Journal of social issues, 2(4), 34-46.
Serranito et al., (2021). Small-and large-scale processes including anthropogenic pressures as drivers of gastropod communities in the NE Atlantic coast :A citizen science based approach.